dimanche 27 mai 2018

EGAlim: Paysans, on s'est occupé de votre cas, on s'en lave les mains

Les États Généraux de l'Alimentation ont été lancés l'année dernière avec les meilleures intentions du monde: assurer un revenu décent aux agriculteurs et garantir une nourriture saine et durable.

Sous l'ampleur de la tâche, la pression des grands intérêts économiques et leur posture en matière de politique économique, le gouvernement, le rapporteur Moreau et la majorité des députés En Marche ont transformé les bons sentiments en articles d'une loi à la portée consternante.

Loin d'assurer un revenu décent aux agriculteurs, elle multiplie les nouvelles normes en s'en remettant à la responsabilisation des industriels et de la grande distribution pour partager la valeur.

Si chacun était responsable, on n'aurait pas eu besoin d'investir 35 000 heures en débats sur cette question, ni surtout de la poser!

  • Les promotions seront désormais encadrées: qu'est ce qui empêchera les centrales d'achat d'imposer un prix "promo" à l'ensemble de leurs achats auprès de leur fournisseur? La guerre des prix ne s'arrête pas parce que l'on efface à demi le mot "promo".
  • De même la hausse du Seuil de Revente à Perte oblige les grandes surfaces a prendre une marge d'au moins 10% en plus, en aucun cas d'acheter plus cher les produits alimentaires, encore moins de les acheter moins cher pour continuer cette politique de prix bas.
  • Le rapprochement des centrales d'achat sera "surveillé". Diable! Elles ne sont déjà plus que 4, encore moins à l'international, elles se délocalisent à Bruxelles.
  • On menace de Name and Shame: à chaque critique à leur encontre, M. Leclerc en fait un article de blog triomphateur, M. Besnier évoque la fermeture d'une usine, M. Bigard envoie son fils répondre aux questions des députés. Quand on fait leurs profits, on ne connaît pas la honte.
Dans le même temps, la loi propose avec insistance aux agriculteurs de se renforcer:
  • En ne proposant rien de plus que ce qui existe dans la filière lait (Organisations de producteurs, Contractualisation), avec les résultats que l'on connaît.
  •  En décidant de reconstituer les interprofessions (quasiment détruites en 2008 dans la filière lait, et laissant les industriels en position de force , "proposant" seuls contrats et prix) alors que les producteurs ont été mis dans une situation de faiblesse excessive. On ne reconstruit pas une maison sur des fondations sapées!
  • Le renversement de la construction des prix en partant des coûts de production est devenu "une prise en compte (ou référence à) des coûts de production" dont le niveau reste à déterminer au sein de ces mêmes interprofessions!
Enfin, les débats et articles de loi insistent sur la supposée médiocrité de l'agriculture conventionnelle française, qu'il faudrait rendre saine en interdisant unilatéralement tel ou tel produit phytosanitaire, telle ou telle pratique d'élevage, en donnant une surexposition aux associations antispécistes ou radicales.
  • A Rungis, Emmanuel Macron proposait 50% de produits bio OU locaux dans les cantines, ils sont devenus 50 % de produits bio ou tenant compte de l'environnement! Faut-il en conclure que le conventionnel ne tient aucun compte de l'environnement? A-t-on même pensé à augmenter le budget desdites cantines pour ce supplément considérable de bio?
  • 15% des surfaces agricoles en bio: s'est-on assuré qu'il y a bien un débouché en face? Les consommateurs français, notamment les plus modestes, achèteront-ils ce bio supplémentaire, ou assistera-t-on à un effondrement des prix bio face à cet excès d'offre?
En réalité, loin de sortir renforcés de ces EGAlim, les agriculteurs en ressortent menacés, dénigrés, trompés.

En dépit des bonnes intentions, à cause d'un manque de volonté.

Car lancer ces EGAlim, c'était reconnaître que l'agriculture française connaissait des problèmes spécifiques, il fallait donc des solutions spécifiques, volontaristes: par exemple la création de Bons Alimentaires pour les revenus les plus modestes afin de compenser le surcoût de prix agricoles plus élevés, la désintoxication de l'économie accro-dépendante de prix agricoles ytop bas par un système compensatoire de la TVA, une prise à bras le corps de la position abusivement dominante des centrales d'achats.

Le risque évident est que désormais, une fois tout ce temps et ces débats dépensés sur le "sort des paysans", on leur dise "à vous désormais". Mais en voulant garantir un revenu aux agriculteurs et redonner de la fierté à l'agriculture française, on l'a laissée au milieu du gué économiquement (la pire place) et dénigrée sur ses pratiques actuelles, sans assurer aucunement la création de valeur d'une éventuelle "montée en gamme". On a surtout conforté la position de force des industriels et de la grande distribution en n'y touchant le moins possible. Il est inacceptable d'entamer un tel processus on disant "Il y a des injustices" et en concluant par "C'est comme ça, un contrat doit être conclu librement par chacune des parties".

Restent aux agriculteurs français leurs coopératives, finalement seules clés restantes de leur salut, dans lesquelles ils doivent retrouver un rôle moteur pour un partage de la valeur réaffirmé.

Gwendal RAOUL
Producteur de lait

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