lundi 30 mai 2016

Production laitière: "The New Normal"

Un nouveau "paradigme"

Après la crise financière de 2008, Wall Street s'est entichée du terme "The New Normal" pour exprimer le fait que beaucoup de ce qui semblait improbable avant la crise était à présent ancré pour longtemps dans la réalité. Les vieux démons reviennent vite, mais la crise a suscité un effort considérable de régulation du système financier.

La fin des quotas laitiers européens, tout l'indique en juin 2016, a eu cet effet de créer "a New Normal", ou pour utiliser un terme à la mode, un nouveau "paradigme" laitier. Beaucoup, surtout ceux qui ont le pouvoir d'agir dans ce qu'ils croient encore n'être qu'une "crise" laitière, ne s'en rendent semble-t-il pas encore compte, pendant que les producteurs de lait, de plus en plus nombreux dans tous les pays, constatent que leur situation financière devient franchement inquiétante.

On se rend compte que les quotas européens régulaient de fait la production mondiale dans une large mesure, et assuraient un équilibre offre/demande considérable au niveau mondial. Une fois supprimés, il est évident que les mécanismes d'ajustement du marché laitier ne fonctionnent tout simplement pas, voire à l'inverse de ce que les experts prévoyaient, le fameux "soft landing".

Depuis un an, plus le prix baisse, plus la production augmente. La production laitière est par bien des aspects très particulières: périssabilité extrême, cycle de production long, investissements lourds, structures de production non convertissables, engagement sur le long terme pour le foncier et aussi, surtout, dans tous les pays, grande résilience des producteurs qui ne veulent tous simplement pas arrêter de traire, comme ils le font sept jours sur sept.

Et il y a fort à parier que si par chance le prix venait à augmenter un peu, du fait d'une hausse de la demande, la production laitière augmenterait très rapidement pour profiter de l'aubaine, entraînant une nouvelle baisse.

Une trop lente prise de conscience

En Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis (a priori non concernés par les quotas), mais aussi en Irlande (où la suppression de ces quotas étaient ardemment souhaitées), des observateurs commencent à reconnaître que la hausse de la production est inarrêtable, inévitable, bien supérieure à celle de la demande sur le moyen à long terme, et que le prix du lait restera aux alentours de 250 EUR la tonne durablement.

On nous prédisait de la volatilité, on découvre que le marché est plombé, et pire, dysfonctionnel. Ce marché, en fait seulement la confrontation de l'offre et la demande principalement de poudre de lait et de beurre, est désormais noyé sous les excédents, écrasé par les stocks absorbés par l'intervention européenne et donc temporairement "hors-marché". Et l'immense majorité des volumes consommés dans le monde, sous forme de lait liquide, fromage, yaourt et desserts lactés, est entraînée dans cette baisse infernale. Pour ces produits, il faut noter qu'il n'y a pas de confrontation offre/demande à la sortie de cour de ferme, mais seulement livraison et paiement soumis à la décision de l'acheteur. L'offre et la demande ne se confrontent qu'entre industriels et centrales d'achat ou restauration hors domicile, ou dans les assiettes des consommateurs. Mais le lait est déjà, toujours produit.

On nous promettait des outils de couvertures sur les marchés, ou des mécanismes d'assurance marges. En dehors du fait qu'ils sont désormais inapplicables dans ce nouvel environnement, avec ces nouveaux repères pour le prix du lait, en quoi pourraient-ils contribuer à maîtriser la production? Bien au contraire, ils déconnecteraient encore plus prix et équilibre offre/demande. Quel intérêt a un producteur a baisser sa production si sa marge est garantie en cas de baisse du prix?

Une seule solution: la régulation agile

Il faut absolument que seul le lait dont le monde a réellement besoin soit produit. Il faut travailler à identifier ces besoins en permanence, de façon dynamique, en dehors de tout hypothétique "nouveau marché" à l'export, qui n'est bien souvent qu'un mouvement de stockage momentané d'un pays acheteur. Les industriels doivent fournir toutes les informations, en transparence, permettant de définir le plus précisément possible ces besoins. Selon ces besoins exprimés, les producteurs de lait, organisés, peuvent alors livrer les quantités requises et non à l'aveugle. L'offre colle alors au plus près à la demande, un prix juste, équitable en résultant. Un prix administré! Oui, sans doute ne verrions-nous plus jamais le prix du lait monter à 450 EUR, mais aussi serions-nous certains de ne pas être condamné à un prix de 250 EUR.

Cet effort de régulation doit être fait par l'Union Européenne, mais d'autres pays pourraient y être associés, car nul doute que dans les prochains mois ce nouveau paradigme (mais incohérent par tant d'aspects) deviendra évident pour tous.

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