dimanche 29 janvier 2017

Du Lait Des Terroirs Au Lait Des Terreurs

L'élevage a toujours été soumis aux contraintes du climat, à la dureté ou la générosité de la terre, aux maladies des animaux et des plantes. L'adaptation à ces difficultés a permis au paysage laitier français de développer une richesse de terroirs et de produits exceptionnels.

Plus récemment, à la crainte de ces impondérables venus du ciel et de la terre, sont venues s'ajouter des normes environnementales et liées au bien-être animal toujours plus complexes et parfois contradictoire. Puis la peur du contrôle administratif inopiné a été suivie par l'anxiété de voir sa production dénigrée, attaquée et même illégitimée par certaines associations.

Enfin, la fin des quotas laitiers et l'instauration de contrats entre producteurs et laiteries est venue bouleverser notre accès au marché du lait. Aujourd'hui, la lettre envoyée par Lactalis à certains des producteurs ayant témoigné dans le cadre de l'émission Envoyé Spécial matérialise une nouvelle angoisse: celle de ne plus pouvoir vendre sa production suite à une décision unilatérale de l'acheteur.

Cette lettre a suscité une grande indignation, aussi bien auprès des éleveurs que des consommateurs, mais le climat de terreur qu'elle instaure ne peut être compris qu'en la contextualisant.

Après 2010, et avant la fin des quotas, nous sommes passés d'une fixation des prix interprofessionnelle (représentants des producteurs et des transformateurs coopératifs et privés) à une fixation des prix par formule (comprenant des indicateurs de marché choisis de manière plus que discutable). En effet les autorités de la libre concurrence ont imposé la fin d'un système d'entente (mais qui garantissait négociation et équilibre entre les parties). Au final, le prix issu de ces formules était de fait imposé par les transformateurs aux producteurs, avec ajustement possible, à leur seule convenance.

Puis l'État a imposé la signature de contrat entre laiteries et producteurs, pensant sécuriser l'acte de production laitière. Ces contrats ont malheureusement repris la formule de détermination de prix (qui donne une part prépondérante aux produits dits industriel et ne reflète pas l'importance du marché intérieur français), tout en liant les parties pour 5 ans et en permettant d'inclure certaines clauses supplémentaires, dont celle de ne pas porter atteinte à l'image de son acheteur de lait (et non son employeur, terme utilisé par Lactalis).

Pourquoi avoir signé ce contrat qui privait le producteur de tant de liberté? Par peur, justifiée, de ne pas trouver de nouvelle laiterie:  le nombre d'acheteur de lait a beaucoup diminué ces dernières décennies, par un processus de rachat et de fusion, et dans certains bassins de production, il n'existe plus qu'un nombre d'acheteurs très restreint.

Pourquoi, si l'on n'est pas satisfait des conditions de ce contrat, ne pas le déchirer? Tout simplement pour les mêmes raisons, accentuées au fil du temps, les laiteries ayant même des accords de collecte, tacites ou non.

Que faire du lait produit si son acheteur rompt le contrat? La nature périssable du lait elle-même rend tout autre débouché très difficile, voire impossible à trouver: distance de transport, impératifs de transformation. La vente directe demande investissements et recalibrage total de l'exploitation, le passage en production biologique aussi, ces deux voies n'étant de toute façon pas généralisable à la majorité des producteurs de lait.

Avec la libéralisation du marché du lait, on a dit aux oiseaux: "Le ciel est à vous" mais on a gardé la porte de la cage verrouillée, on a oublié de leur apprendre à voler tout en ayant au surplus rogné leurs ailes! Et avec les prix du lait très bas pratiqués par les laiteries depuis plus de deux ans, ce sont même pain et eau dont on prive les oiseaux!

Quoi de plus facile pour une multinationale comme Lactalis, avec ses moyens juridiques et financiers sans commune mesure avec ceux d'un producteur de lait, que d'instaurer un climat de terreur en cessant de collecter le lait de tel ou tel, connaissant pertinemment les conséquences de cette décision?

Comment dialoguer quand le droit à la parole, au témoignage (alors même que ces témoignages ont été recueilli durant une période de désaccord entre Lactalis et les producteurs au sujet, sujet de dissension d'ailleurs presque unique mais essentiel, du prix du lait) est supprimé, d'abord juridiquement, puis par la terreur qui en résulte?

Comment aboutir à des relations et un contrats équilibrés quand l'expression est supprimée, l'opinion rendue de facto délictueuse, la capacité de proposition elle-même suspecte?

Lactalis oublie que l'excellence du produit laitier qu'achète le consommateur dépend autant de la qualité du lait que du savoir-faire de sa transformation. La terreur et la suspicion, la suppression du droit d'expression sont les plus sûrs moyens de miner la qualité de la production, le dynamisme de toute une filière, l'esprit d'entreprise que l'avenir rend indispensable.

PS: Il est évident que l'esprit coopératif permettra à ces courageux producteurs de trouver une place au sein d'une coopérative, le cas échéant. C'est un devoir.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire