lundi 6 avril 2020

Crise du Covid-19 : AGIR Immédiatement et Limpidement Dans le Secteur Laitier.

La production, transformation et commercialisation des produits laitiers en France sont essentiels à l’alimentation des Français durant cette crise d’une gravité et d’une violence inédite.

A ce titre, le secteur laitier en France a été jusqu’à présent relativement épargné, et ce grâce à l’extraordinaire engagement de chaque acteur de la filière pour produire, collecter, transformer et livrer ces produits laitiers dans un contexte de débouchés extrêmement chamboulés, de difficultés logistiques colossales et d’anxiété pour la santé de chacun. Je remercie chaque salarié d’usine ou de magasins, chaque chauffeur, chaque dirigeant d’entreprise, chaque élu de coopératives, chaque producteur d’avoir oeuvrer à ce que cette chaîne complexe ne se brise pas sous la tension de ces bouleversements.

Mais il est absolument impératif d’agir avec clarté, force et décision dans les plus courts délais pour éviter un désastre économique, dans notre filière comme dans tant d’autres.

Le défi de notre filière, c’est de pouvoir collecter, transformer et commercialiser le plus de lait possible, mais surtout pas trop de lait !

Les mécanismes de marché, déjà inefficients en temps normal, ne feront qu’accentuer les difficultés de chacun des acteurs. Le temps n’est plus à une logique de profits et de concurrence mais bien de solidarité totale pour que collectivement nous puissions assurer une alimentation saine et en quantité suffisante à tous. Pour qu’aucune entreprise ou exploitation laitière, beaucoup déjà fragiles avant ce choc, ne disparaisse dans le chaos.

Baisser le prix du lait aujourd’hui, c’est inciter les producteurs de lait à livrer plus de volumes tout de suite. C’est aussi condamner certaines exploitations déjà très fragiles.

Inciter à la responsabilité individuelle de chacun sans garantir la solidité collective de la filière ne peut qu’exacerber les intérêts individuels à court terme, c’est la nature humaine.

Demander que tout le lait actuellement produit soit collecté, transformé et commercialisé, c’est ignorer coupablement la réalité. Nulle entreprise de transformation ne peut fonctionner comme il y a encore 2 mois. Nul rayon de supermarché non plus. La restauration hors foyer est oblitérée, le B-to-B en grand désordre, l’export dans l’incertitude la plus totale.

Il est impératif de ne produire, collecter, transformer, commercialiser que le lait qui est commercialisable dans l’immédiat. Seuls des stocks stratégiques et pérennes « hors marché » doivent être envisagés. Tout autre mécanisme incitant au stockage de produit laitier ne fera que reporter les difficultés à un avenir totalement incertain.

Il n’y a qu’une voie possible, c’est collectivement définir et imposer des objectifs de production, transformation, commercialisation les plus efficients possibles. Toute autre demi-mesure ou incantation à la marge serait sans aucun effet, l’inaction nous mettrait tous dans le plus extrême danger.

La transparence totale des flux de matières et de valeurs dans la filière durant cette crise doit nous permettre à tous d’accepter des volumes et des prix les meilleurs possibles, dans l’intérêt de chacun pour la sauvegarde de tous.

Immédiatement, que tous les collèges du CNIEL définissent et imposent dans une coordination parfaite ce que chacun doit produire, transformer, commercialiser et avec quel retour de valeur pour chaque acteur.

Dans le cas contraire, des producteurs étranglés par une baisse de prix inonderont les transformateurs de volumes non valorisables, provoquant un réflexe de mise en concurrence exacerbée à la commercialisation et un désastre à moyen terme, extrêmement néfaste pour le pays.

Merci.

Gwendal RAOUL
Producteur de lait.

samedi 29 décembre 2018

Agriculture: La bulle des egos et l'asphyxie des volontés

Avant d'être éleveur laitier, j'ai travaillé une poignée d'années dans les entrailles du système financier mondial, une main minuscule dans les rouages du marché des produits dérivés.

Les problèmes à résoudre était souvent très intéressants, les esprits les plus brillants y élaborant les martingales les plus géniales pour contrer, surpasser leurs précédents et géniaux modèles de valeur en risque.

Mais le constat que ces instruments dérivés, de plus en plus complexes, tenaient de moins en moins compte de la réalité sous-jacente qu'ils utilisaient, que le concret devenait accessoire dans la recherche de gains insensés, m'a détourné de cette activité, et a, à bien des égards, fléché mon aspiration à exercer un métier utile, nécessaire, simplement noble.

Dix-huit mois plus tard, la crise des subprimes et la faillite de ce système financier éclataient, tout comme la bulle qui, en se gonflant, avait asphyxié le monde réel (la construction de logement répondant, elle, à une nécessité certaine) sur lequel elle prospérait, sûre de sa puissance jusqu'au "plop" final.

En cette fin 2018, j'ai un goût amer, celui de voir le même processus, têtu et déjà très avancé, s'emparer du monde agricole: la dérive d'un système qui, s'emballant, s'éloigne, ignore, puis tient pour quantité négligeable la production sous-jacente qui la fait vivre, nos productions agricoles.

L'outil de transformation et commercial prend le pas sur la finalité, essentielle: se nourrir.

Le gain financier se bâfre des marges extirpées du geste de récolte.

La mondialisation, qui devrait permettre d'obtenir ce dont nous avons besoin et que nous n'avons pas, faute de règles élémentaires fait qu'au final nous avons trop de ce qui est superflu et que nous manquons (ou manquerons) de ce qui nous est vital: travail et production couvrant les besoin élémentaires.

Le port narcissique de distinctions, de postes, de sinécures dans les instances agricoles remplace trop souvent la satisfaction simple et saine de la défense de l'agriculteur, de la cohérence entre les contraintes naturelles, les exigences sociétales et les obligations administratives.

Les usines à gaz administratives, économiques, financières créées pour tenter de gommer les incohérences, les contradictions, les culpabilités, les inconsciences d'aujourd'hui ne sont que les impasses de demain.

La loi du marché, prétendument implacable et inévitable, s'impose toujours plus dans les consciences de nos décideurs. Mais c'est oublier que le marché agricole n'est que la somme de nos volontés collectives, une fois la nature ayant donné, et que si la volonté des agriculteurs se dérobe, nous sommes forcément les perdants. Que si nous voulons résolument une régulation indispensable, indiscutable, on nous la devra!

Le prix de nos productions, si nous ne sommes pas convaincus de leur valeur, sera seulement celui que l'on daigne nous octroyer.

Accepter les incantations d'adaptation à la concurrence, à l'ordre des choses, c'est faire fi du fait que l'agriculture française est reconnue comme la plus durable au monde, alors même que ses produits sont les plus variés, ses terroirs les plus riches.

C'est accepter aussi des modèles ignorant souvent nos contraintes environnementales, si gourmands en capital financier que la production agricole devient un vulgaire coproduit, la spéculation sur le sous-jacent devenant la règle, le remboursement des emprunts n'étant même plus envisageable.

Et c'est se soumettre à l'idée que nos rangs s'éclaircissent inexorablement, que la bulle nous asphyxie et éteigne définitivement nos convictions trempées dans le bon sens.

Je ne le veux pas, mais seule notre volonté collective et affirmée, ancrée dans cet acte primordial, celui de nourrir, peut empêcher cette dérive inconsciente.


mardi 12 juin 2018

La fin du glyphosate? Mais non, ce n'est que le début!

Il est curieux que l'herbicide "glyphosate", utilisée en France uniquement en préparation de culture, et donc pas sur une culture ayant vocation à être récoltée et incorporée dans l'alimentation, animale ou humaine, focalise tant de hargne. C'est d'ailleurs justement parce qu'il facilite l'implantation culturale qu'il est si intéressant.

Mais sans aucune base juridique, outrepassant les décisions à l'échelon européen et le refus des députés d'inclure son interdiction dans la loi, le président et le gouvernement maintiennent leur projet d'interdire le glyphosate d'ici 2021.

Mais sans qu'aucune alternative convaincante ne soit proposée: celles à disposition sont toutes mécaniques, donc émettrice de gaz à effet de serre, et très imparfaites dans le cas général.

Mais sans que le glyphosate soit un cancérigène avéré, encore moins ses résidus dégradés, en traces infimes.

Sur le seul "principe de précaution", alors que la précaution principale à prendre est évidemment de garantir l'alimentation de la population en France, en quantité d'abord, et en qualité, celle déjà garantie actuellement.

Le mot "glyphosate" était bel et bien absent du programme de campagne d'E. Macron, en revanche la phrase "Nous garantirons des prix justes pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail" y était en première place.

Or la loi Agriculture et Alimentation sur ce sujet ne fait que maintenir le statut quo, ou pire, pose les bases d'une guerre des prix accentuée (lire EGAlim: Paysans, on s'est occupé de votre cas, on s'en lave les mains) et d'une importation hors de contrôle de produits alimentaires.

Il est surprenant d'entendre le Ministre de l'Agriculture dire que sur les prix, ce n'est pas à lui ni au Président de dire à tel ou tel ce qu'il doit faire, que le marché est libre. Mais que sur les pratiques à notre disposition pour produire, le gouvernement a tout pouvoir!

L'Autorité de la concurrence veille en chien de garde sur la liberté de fixation des prix, l'Autorité de la concurrence déloyale sur les moyens de production n'existe même pas.

Le pouvoir exécutif a fait du glyphosate une question de principe. Il est du devoir des agriculteurs français d'en faire une ligne rouge. Il est hors de question de transiger sur son maintien, car le principe qui doit toujours nous guider, c'est celui de ne plus jamais être l'ultime recours d'une politique, la proie facile à qui on peut tout imposer. Plus jamais!

dimanche 27 mai 2018

EGAlim: Paysans, on s'est occupé de votre cas, on s'en lave les mains

Les États Généraux de l'Alimentation ont été lancés l'année dernière avec les meilleures intentions du monde: assurer un revenu décent aux agriculteurs et garantir une nourriture saine et durable.

Sous l'ampleur de la tâche, la pression des grands intérêts économiques et leur posture en matière de politique économique, le gouvernement, le rapporteur Moreau et la majorité des députés En Marche ont transformé les bons sentiments en articles d'une loi à la portée consternante.

Loin d'assurer un revenu décent aux agriculteurs, elle multiplie les nouvelles normes en s'en remettant à la responsabilisation des industriels et de la grande distribution pour partager la valeur.

Si chacun était responsable, on n'aurait pas eu besoin d'investir 35 000 heures en débats sur cette question, ni surtout de la poser!

  • Les promotions seront désormais encadrées: qu'est ce qui empêchera les centrales d'achat d'imposer un prix "promo" à l'ensemble de leurs achats auprès de leur fournisseur? La guerre des prix ne s'arrête pas parce que l'on efface à demi le mot "promo".
  • De même la hausse du Seuil de Revente à Perte oblige les grandes surfaces a prendre une marge d'au moins 10% en plus, en aucun cas d'acheter plus cher les produits alimentaires, encore moins de les acheter moins cher pour continuer cette politique de prix bas.
  • Le rapprochement des centrales d'achat sera "surveillé". Diable! Elles ne sont déjà plus que 4, encore moins à l'international, elles se délocalisent à Bruxelles.
  • On menace de Name and Shame: à chaque critique à leur encontre, M. Leclerc en fait un article de blog triomphateur, M. Besnier évoque la fermeture d'une usine, M. Bigard envoie son fils répondre aux questions des députés. Quand on fait leurs profits, on ne connaît pas la honte.
Dans le même temps, la loi propose avec insistance aux agriculteurs de se renforcer:
  • En ne proposant rien de plus que ce qui existe dans la filière lait (Organisations de producteurs, Contractualisation), avec les résultats que l'on connaît.
  •  En décidant de reconstituer les interprofessions (quasiment détruites en 2008 dans la filière lait, et laissant les industriels en position de force , "proposant" seuls contrats et prix) alors que les producteurs ont été mis dans une situation de faiblesse excessive. On ne reconstruit pas une maison sur des fondations sapées!
  • Le renversement de la construction des prix en partant des coûts de production est devenu "une prise en compte (ou référence à) des coûts de production" dont le niveau reste à déterminer au sein de ces mêmes interprofessions!
Enfin, les débats et articles de loi insistent sur la supposée médiocrité de l'agriculture conventionnelle française, qu'il faudrait rendre saine en interdisant unilatéralement tel ou tel produit phytosanitaire, telle ou telle pratique d'élevage, en donnant une surexposition aux associations antispécistes ou radicales.
  • A Rungis, Emmanuel Macron proposait 50% de produits bio OU locaux dans les cantines, ils sont devenus 50 % de produits bio ou tenant compte de l'environnement! Faut-il en conclure que le conventionnel ne tient aucun compte de l'environnement? A-t-on même pensé à augmenter le budget desdites cantines pour ce supplément considérable de bio?
  • 15% des surfaces agricoles en bio: s'est-on assuré qu'il y a bien un débouché en face? Les consommateurs français, notamment les plus modestes, achèteront-ils ce bio supplémentaire, ou assistera-t-on à un effondrement des prix bio face à cet excès d'offre?
En réalité, loin de sortir renforcés de ces EGAlim, les agriculteurs en ressortent menacés, dénigrés, trompés.

En dépit des bonnes intentions, à cause d'un manque de volonté.

Car lancer ces EGAlim, c'était reconnaître que l'agriculture française connaissait des problèmes spécifiques, il fallait donc des solutions spécifiques, volontaristes: par exemple la création de Bons Alimentaires pour les revenus les plus modestes afin de compenser le surcoût de prix agricoles plus élevés, la désintoxication de l'économie accro-dépendante de prix agricoles ytop bas par un système compensatoire de la TVA, une prise à bras le corps de la position abusivement dominante des centrales d'achats.

Le risque évident est que désormais, une fois tout ce temps et ces débats dépensés sur le "sort des paysans", on leur dise "à vous désormais". Mais en voulant garantir un revenu aux agriculteurs et redonner de la fierté à l'agriculture française, on l'a laissée au milieu du gué économiquement (la pire place) et dénigrée sur ses pratiques actuelles, sans assurer aucunement la création de valeur d'une éventuelle "montée en gamme". On a surtout conforté la position de force des industriels et de la grande distribution en n'y touchant le moins possible. Il est inacceptable d'entamer un tel processus on disant "Il y a des injustices" et en concluant par "C'est comme ça, un contrat doit être conclu librement par chacune des parties".

Restent aux agriculteurs français leurs coopératives, finalement seules clés restantes de leur salut, dans lesquelles ils doivent retrouver un rôle moteur pour un partage de la valeur réaffirmé.

Gwendal RAOUL
Producteur de lait

jeudi 24 mai 2018

Schumpeter et les Champs de Pierre

Pierre souhaite céder son exploitation et prendre une retraite méritée. Quel montant peut-il en tirer? Que valent ses champs en propriété, ses baux, ses parts sociales en coopérative, ses droits à prime, son exploitation dans sa globalité donc?

Quel(s) repreneur(s) trouvera-t-il? Quel prix est-il prêt à payer? Quels prêts bancaires lui seront accordés? Est-il obligé, contraint, de payer tout le fruit économique et capitalisé de Pierre pour se lancer lui même dans ce métier?

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Le jour où la loi #EGAlim, censée garantir un revenu décent aux agriculteurs, arrive dans l'hémicycle, il serait judicieux de s'assurer que les-dits agriculteurs seront à même de profiter de cette éventuelle hausse de niveau de vie (et nous en sommes loin).

Les termes agri-manager, agri-entrepreneur sont désormais incontournables dans l'analyse agricole. Sont-ils réellement appropriés, à quelles conditions?

En économie, il y a au centre du concept d'entrepreneur la création destructrice de Joseph Schumpeter: "la croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques.

L'un des déductions que l'on peut en tirer, c'est que l'entrepreneur n'est pas obligatoirement sous la menace d'un effet de rente. Que grâce à ses idées, à ses innovations, à ses talents de gestionnaire, il peut créer une entreprise, et des richesses, presque ex nihilo, en tout cas sans avoir à racheter un outil préexistant, à passer sa carrière d'entrepreneur à rembourser la valeur économique d'origine de cet outil. Et le cas échéant, il peut le développer presque sans limite.

En agriculture... ce concept est largement nul et non avenu. Car l'activité agricole est intrinsèquement liée au foncier, et à d'autres actifs, matériels ou immatériels, essentiels et largement non reproductibles.

I. Le Foncier

Si on laisse faire le marché, absolument librement, plus la production agricole sera lucrative, plus le foncier prendra de la valeur.

Normal me direz-vous?

Pas du tout, car l'agriculteur a cette capacité particulière ancrée en lui: la résilience!

Cette qualité en temps de crise, qui lui permet de vivre de rien pendant de longs mois, se transforme en malédiction en temps de prospérité car il sera enclin à investir tous ses revenus supplémentaires dans son outil de travail, créant des bulles et une inflation des prix de tous les intrants.

Si une activité agricole est lucrative, le sous-jacent foncier indispensable absorbe presque toute la richesse créée!

Les terres atteignent donc naturellement des prix stratosphériques, elles sont en réalité transmises par des stratagèmes intra-familiaux ou pseudo-financiers, aucun entrepreneur digne de ce nom n'acceptant de payer à l'origine ce qu'il gagnera par son talent le reste de sa carrière.

Le cas des licences de taxi illustre bien cette impasse, l'adage "Le paysan vit pauvre et meurt riche" aussi.

Le marché du foncier, et le calcul des loyers exigibles par les propriétaires, est largement réglementé en France, et l'on doit s'en féliciter. Le droit de préemption des Safer, les autorisations d'exploiter et les indices de fermage permettent d'éviter une augmentation inconsidérée de la valeur des terres condamnant l'exploitant à rembourser des annuités exorbitantes ou à payer des loyers spoliateurs.

Si l'on doit réformer ce système français, c'est simplement en le renforçant, en luttant contre les passe-droit et abus népotiques en commissions.

II. Les bâtiments et leur construction

Un autre aspect central de bien des activités agricoles, ce sont les bâtiments d'exploitation. Si la construction de nouveaux bâtiments est rendu compliquée par un excès de règlements administratifs, l'entrepreneur-paysan se verra obligé d'acquérir des bâtiments existants, ce dont les cédants, c'est la nature humaine, ne manqueront pas de profiter.

Laisser de nouveaux bâtiments pousser ici ou là, c'est, au-delà d'une exigence de confort de travail et de technicité, apporter de la fluidité dans l'économie agricole et lutter contre les effets de rentes.

III. Le "Droit à Vendre"

Cet actif immatériel est particulièrement indispensable pour les productions agricoles (très) périssables, comme le lait.

On peut évidemment évoquer les cas de la transformation à la ferme et de la vente directe: ces circuits courts sont très intéressants mais ne sauraient répondre à la grande majorité des besoins alimentaires de la population.

Pour vendre du lait, un producteur doit donc le plus souvent se regrouper en coopérative de collecte/transformation ou livrer à un industriel privé. Il est donc lié par un contrat stipulant, entre autre, la quantité à livrer, la référence.

Dans le cas des coopératives, le producteur détient des Parts Sociales, dont la valeur nominale est déterminée par le Conseil D'Administration de la coopérative (selon ses besoins financiers), et dont le producteur s'acquitte.

Véronique Le Floc'h, responsable de l'OPL, demande que ces parts sociales soient réévaluées en fonction de la valeur de l'outil coopératif. Et donc que au départ en retraite des coopérateurs, ou en cas de cessation d'activité, la coopérative leur rembourse un montant équivalent, non pas à la valeur nominale de ces parts sociales, mais à leur valeur économique. Encore un effet de rente à proscrire! Qui d'autres, sinon les nouveaux coopérateurs, et ceux qui continuent leur activité, devraient accroître le patrimoine de l'ex-producteur?

La coopérative est au contraire l'entité idéale pour que la profession laitière garantisse la solidarité nécessaire entre générations, et la pérennité de l'élevage laitier familial.

Ni le contrat, ni la référence, ni les parts sociales (au-delà de leur valeur nominale) ne doivent être l'objet de cession lucrative.

Car encore une fois, un entrepreneur digne de ce nom ne pourra jamais accepter d'acquérir un actif essentiel, à sa valeur économique, alors qu'il a la certitude de ne pouvoir le développer (un hectare est un hectare, un litre de lait est un litre de lait, par définition).

Le cas des droits au paiement des aides PAC, encore essentiels à l'existence des exploitations agricoles, est évidemment similaire. Ils ne doivent en aucun cas être monnayables.

Les risques d'effets de rentes sont, on le voie, bien trop nombreux dans l'économie agricole pour qu'on laisse à la fois "faire le marché" et que l'on y attire des entrepreneurs avisés, que l'on permette aux agriculteurs de profiter de leur revenu, non pas pour payer un prix toujours plus élevé pour le droit de travailler, mais pour vivre!

Imaginerait-on un directeur financier ou général payer pour le droit d'occuper son poste? Dans l'Ancien Régime cela s'appelait une Charge, donc une rente, une prime à l'ordre établi, une entrave au dynamisme.

Entre la création destructrice schumpéterienne débridée et l'économie administrée kolkhozienne, il y a le bon sens, la régulation souple, intelligente, durable.

Pas de revenu garanti, pas non plus de revenu indécent avec la perspective incertaine d'un patrimoine conséquent, mais des agriculteurs, des paysans travaillant pour aussi s'épanouir dans leur vie, prendre des vacances, passer du temps en famille.

Encore faudra-t-il que les prix de nos productions nous permettent de dégager un revenu, et que celui-ci ne soit pas pressé comme un citron par les effets de rente.

mardi 22 mai 2018

Agri-Entrepreneurs: Revenu, Patrimoine ou Citron?

 Le jour où la loi #EGAlim, censée garantir un revenu décent aux agriculteurs, arrive dans l'hémicycle, il serait judicieux de s'assurer que les-dits agriculteurs seront à même de profiter de cette éventuelle hausse de niveau de vie (et nous en sommes loin).

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En économie, il y a au centre du concept d'entrepreneur la création destructrice de Joseph Schumpeter: "la croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques.

L'un des déductions que l'on peut en tirer, c'est que l'entrepreneur n'est pas obligatoirement sous la menace d'un effet de rente. Que grâce à ses idées, à ses innovations, à ses talents de gestionnaire, il peut créer une entreprise, et des richesses, presque ex nihilo, en tout cas sans avoir à racheter un outil préexistant, à passer sa carrière d'entrepreneur à rembourser la valeur économique d'origine de cet outil. Et le cas échéant, il peut le développer presque sans limite.

En agriculture... ce concept est largement nul et non avenu. Car l'activité agricole est intrinsèquement liée au foncier, et à d'autres actifs, matériels ou immatériels, essentiels et largement non reproductibles.

I. Le Foncier

Si on laisse faire le marché, absolument librement, plus la production agricole sera lucrative, plus le foncier prendra de la valeur.

Normal me direz-vous?

Pas du tout, car l'agriculteur a cette capacité particulière ancrée en lui: la résilience!

Cette qualité en temps de crise, qui lui permet de vivre de rien pendant de longs mois, se transforme en malédiction en temps de prospérité car il sera enclin à investir tous ses revenus supplémentaires dans son outil de travail, créant des bulles et une inflation des prix de tous les intrants.

Si une activité agricole est lucrative, le sous-jacent foncier indispensable absorbe presque toute la richesse créée!

Les terres atteignent donc naturellement des prix stratosphériques, elles sont en réalité transmises par des stratagèmes intra-familiaux ou pseudo-financiers, aucun entrepreneur digne de ce nom n'acceptant de payer à l'origine ce qu'il gagnera par son talent le reste de sa carrière.

Le cas des licences de taxi illustre bien cette impasse, l'adage "Le paysan vit pauvre et meurt riche" aussi.

Le marché du foncier, et le calcul des loyers exigibles par les propriétaires, est largement réglementé en France, et l'on doit s'en féliciter. Le droit de préemption des Safer, les autorisations d'exploiter et les indices de fermage permettent d'éviter une augmentation inconsidérée de la valeur des terres condamnant l'exploitant à rembourser des annuités exorbitantes ou à payer des loyers spoliateurs.

Si l'on doit réformer ce système français, c'est simplement en le renforçant, en luttant contre les passe-droit et abus népotiques en commissions.

II. Les bâtiments et leur construction

Un autre aspect central de bien des activités agricoles, ce sont les bâtiments d'exploitation. Si la construction de nouveaux bâtiments est rendu compliquée par un excès de règlements administratifs, l'entrepreneur-paysan se verra obligé d'acquérir des bâtiments existants, ce dont les cédants, c'est la nature humaine, ne manqueront pas de profiter.

Laisser de nouveaux bâtiments pousser ici ou là, c'est, au-delà d'une exigence de confort de travail et de technicité, apporter de la fluidité dans l'économie agricole et lutter contre les effets de rentes.

III. Le "Droit à Vendre"

Cet actif immatériel est particulièrement indispensable pour les productions agricoles (très) périssables, comme le lait.

On peut évidemment évoquer les cas de la transformation à la ferme et de la vente directe: ces circuits courts sont très intéressants mais ne sauraient répondre à la grande majorité des besoins alimentaires de la population.

Pour vendre du lait, un producteur doit donc le plus souvent se regrouper en coopérative de collecte/transformation ou livrer à un industriel privé. Il est donc lié par un contrat stipulant, entre autre, la quantité à livrer, la référence.

Dans le cas des coopératives, le producteur détient des Parts Sociales, dont la valeur nominale est déterminée par le Conseil D'Administration de la coopérative (selon ses besoins financiers), et dont le producteur s'acquitte.

Véronique Le Floc'h, responsable de l'OPL, demande que ces parts sociales soient réévaluées en fonction de la valeur de l'outil coopératif. Et donc que au départ en retraite des coopérateurs, ou en cas de cessation d'activité, la coopérative leur rembourse un montant équivalent, non pas à la valeur nominale de ces parts sociales, mais à leur valeur économique. Encore un effet de rente à proscrire! Qui d'autres, sinon les nouveaux coopérateurs, et ceux qui continuent leur activité, devraient accroître le patrimoine de l'ex-producteur?

La coopérative est au contraire l'entité idéale pour que la profession laitière garantisse la solidarité nécessaire entre générations, et la pérennité de l'élevage laitier familial.

Ni le contrat, ni la référence, ni les parts sociales (au-delà de leur valeur nominale) ne doivent être l'objet de cession lucrative.

Car encore une fois, un entrepreneur digne de ce nom ne pourra jamais accepter d'acquérir un actif essentiel, à sa valeur économique, alors qu'il a la certitude de ne pouvoir le développer (un hectare est un hectare, un litre de lait est un litre de lait, par définition).

Le cas des droits au paiement des aides PAC, encore essentiels à l'existence des exploitations agricoles, est évidemment similaire. Ils ne doivent en aucun cas être monnayables.

Les risques d'effets de rentes sont, on le voie, bien trop nombreux dans l'économie agricole pour qu'on laisse à la fois "faire le marché" et que l'on y attire des entrepreneurs avisés, que l'on permette aux agriculteurs de profiter de leur revenu, non pas pour payer un prix toujours plus élevé pour le droit de travailler, mais pour vivre!

Imaginerait-on un directeur financier ou général payer pour le droit d'occuper son poste? Dans l'Ancien Régime cela s'appelait une Charge, donc une rente, une prime à l'ordre établi, une entrave au dynamisme.

Entre la création destructrice schumpéterienne débridée et l'économie administrée kolkhozienne, il y a le bon sens, la régulation souple, intelligente, durable.

Pas de revenu garanti, pas non plus de revenu indécent avec la perspective incertaine d'un patrimoine conséquent, mais des agriculteurs, des paysans travaillant pour aussi s'épanouir dans leur vie, prendre des vacances, passer du temps en famille.

Encore faudra-t-il que les prix de nos productions nous permettent de dégager un revenu, et que celui-ci ne soit pas pressé comme un citron par les effets de rente.

mardi 3 avril 2018

Sodiaal, de l'Âne à l'Aigle?

Il y a encore 18 mois, défendre avec conviction la stratégie de Sodiaal, et donc son paiement du lait tenait du ridicule ou de l'aveuglement, soyons clairs.

Après avoir subi et/ou toléré une gestion médiocre, voire paresseuse, de la coopérative, son conseil d'administration a décidé, avec lucidité et non sans courage, un changement général de direction, et donc un changement de Direction Générale.

Courage, car c'était admettre que les décisions passées manquaient de qualité.
Lucidité, car c'était acter que cela ne pouvait perdurer.

Car une coopérative ne peut être dirigée médiocrement, paresseusement ou même passablement.

En effet une coopérative moderne doit réussir le tour de force d'être à la fois rentable, afin d'investir dans son outil industriel, dans ses capacités d'innovation et de commercialisation, et de payer le prix maximum possible à ses principaux fournisseurs, les coopérateurs.

Cela demande une bonne dose de talent de la part de la Direction Générale, et sans flagornerie, le plan stratégique #Value de Sodiaal et sa présentation montre que le conseil d'administration de la coopérative a su le dénicher il y a un peu plus d'un an en recrutant Jorge Boucas.

Grâce à un plan d'économies détaillé, à une recherche constante et explicite de la valeur maximale du produit transformé, et à une maîtrise de la collecte de lait, on peut attendre, enfin, avec confiance une rentabilité bien plus vigoureuse qui pérennisera l'avenir de la coopérative et permettra, enfin, de reverser des ristournes dignes de ce nom aux coopérateurs.

Mais le tour de force, absolument nécessaire pour l'avenir immédiat des coopérateurs, passe aussi et forcément par une défense acharnée du prix du lait "sortie de ferme"!

En avril 2017, Sodiaal payait le lait 300 eur les 1000 l aux coopérateurs, après plus de 2 ans de crise laitière aigüe.

Les trésoreries des exploitations étaient exsangues, et le nouveau pouvoir politique a reconnu le caractère insupportable, intenable, dangereux pour l'avenir de la production en France, en ouvrant les Etats Généraux de l'Alimentation. De ces EGAlim, réunissant toute la filière laitière entre autres, sont ressorties des promesses de mesures, de loi, une charte, et aussi des assurances de loyauté mutuelle, assorties de moues dubitatives et boudeuses.

En avril 2018, Sodiaal paiera le lait autour de 300 eur les 1000 l aux coopérateurs.

Incompréhensible, absurde, révoltant! Des mois de concertation dans un cadre formel, avec des diagnostics clairs, des constats sur l'insuffisance des revenus agricoles encore plus clairs, des solutions énoncées (sans doute moins claires) pour rien.

Le prix du lait a plafonné à 335 eur en été 2017, pour une moyenne de 315 à 320 eur sur l'année.

Il y a encore quelques semaines, la FNPL évoquait une "valeur socle du lait autour de 350 à 360 eur" grâce à la prise en compte des coûts de production par voie législative.

Mais soyons, nous aussi, très clairs! Qui peut encore y croire, quand les coopératives, c'est à dire les producteurs de lait eux-mêmes, paient le lait 50 ou 60 EUR de moins en ce printemps?

 

Il y a encore quelques mois, le fait que les coopératives, les coopérateurs, et donc 55% des producteurs de lait français, formaient une seule et même entité de principe, étaient un fait oublié, raillé, au mieux très discutable.

Mais la crise, les prises de conscience sur la nécessité de retrouver une excellence de la gestion coopérative, et enfin la diffusion de l'émission Cash Investigation, qui très injustement, en mettant en exergue les pêchés, réels ou supposés, du passé (opacité, captation de la valeur, médiocrité des stratégies) passait complètement sous silence les profondes évolutions présentes, tout cela a resserré appréciablement les rangs au sein des coopératives.

Ma conviction est qu'il y a une réelle volonté de remettre le coopérateur au cœur de l'outil coopératif dans son ensemble, et non plus de le cantonner dans une "entité de collecte" bien distincte de l'outil industriel et encore plus de la holding financière.

Mais cette évolution salutaire dans les têtes et dans les cœurs coopérateurs doit absolument se concrétiser sur les comptes des exploitations, et au plus vite. Car en laissant le prix du lait stagner, voire reculer à des niveaux indignes, c'est laisser tout le système économique laitier, de nos transformateurs, leur concurrents à l'export, à la grande distribution et la restauration collective, jusqu'aux consommateurs et clients internationaux, s'habituer encore et toujours à une valeur du lait dégradée. C'est pas à pas que la reconquête de cette valeur se fera, mais tout recul est désormais à proscrire, et cela commence bien sûr dans les cours de nos fermes.

Soyons encore plus clairs! Oui, le consommateur final devra payer les produits laitiers un peu plus cher, en France ou ailleurs, de quelques pourcents en plus.

Non le prix du lait n'atteindra pas 400 EUR dans les prochains mois, c'est malhonnête de le brandir comme un argument de propagande.

Mais il est impératif que ce soit les coopératives, représentantes primordiales des producteurs de lait en France, qui entament ce long parcours d'obstacles, pied à pied, euro par euro, de reconquête de la Valeur de Notre Lait! Et dés aujourd'hui! Les autres suivront, bon gré mal gré...