samedi 30 juillet 2016

Pourquoi les Éleveurs Laitiers Français sont des ÂNES!

Je le dis d'emblée, le titre est évidemment une ânerie, je l'ai choisi uniquement pour qu'on lise mon article...

Mais ce pourrait rapidement devenir une vérité si une reprise de conscience massive ne se fait pas.

Pourquoi une maison ici vaut beaucoup plus ou beaucoup moins qu'une maison ailleurs? Justement parce qu'elle est ici et pas ailleurs!

Le discours rabâché à l'envie sur la mondialisation, le lait devenant une "commodity", matière première interchangeable, la supposée nécessaire course à la compétitivité, à l'adaptation, nous ont fait oublier, et même renier, une donnée essentielle: la richesse du paysage laitier français, l'extrême diversité de notre plateau de fromages, de nos spécialités de produits frais, de nos desserts lactés et même de nos laits de consommation. Nous avons oublié cet immense attrait auprès des consommateurs français bien sûr, mais aussi des consommateurs du monde entier.

Et cette richesse est issue de chaque cour de ferme laitière française, inscrite dans chaque stabulation, gravée sur tous les chemins à vaches de France. Et on s'évertue à l'effacer.

Comment négocier un prix meilleur, comment faire reconnaître la plus-value de notre lait, comment même s'organiser efficacement si nous ne sommes pas convaincu de la valeur de notre production?

Et cette valeur, elle saute aux yeux, elle est connue de tous, elle est vantée dans tous les magazines d'art de la table du monde, et ce serait nous, les producteurs à l'origine de cette valeur, qui nous en détourneraient?

Bien sûr les Appellations d'Origine Contrôlée, les Labels ont une place primordiale dans le tableau laitier de France, mais chaque camembert non AOC, chaque pot de cancoillotte, chaque motte de beurre breton, chaque verre de lait de montagne orne tout aussi dignement de ce tableau.

Si on se laisse convaincre, absurdement, que tous ces produits peuvent être élaborés ailleurs, ou avec du lait venant d'autres régions du monde, alors effectivement il faut accepter ce prix mondial que tous les industriels français brandissent, il faut se résigner à ce qu'une grande partie des producteurs disparaissent, il faut abandonner la belle idée de l'union et de l'organisation professionnelle et choisir, pour les rares qui le peuvent, le chacun pour soi compétitif.

Mais je n'ai pas encore vu du camembert néo-zélandais ou du lait de montagne des plaines polonaises.

Les démarches de vente en direct d'une production locale sont passionnantes, elles défendent très bien les spécificités françaises. Mais la revendication de ces spécificités a tout autant sa place dans chaque canal de distribution: rayons de grande surface, assiette dans un restaurant d'entreprise ou une cantine, frigo dans une épicerie de luxe américaine ou dans le biberon d'un nourrisson chinois.

Cet oubli, cette négation de nos atouts, embrume les esprits jusque dans les conseils d'administration des coopératives, et provoque des prises de décisions allant parfois à l'encontre de nos richesses.

Les grands industriels eux sont parfaitement conscients de cet immense avantage que sont nos traditions, mais ils s'acharnent à nous les faire oublier, croyant pouvoir élaguer un peu le bel arbre des producteurs et récolter ses beaux fruits au prix mondial.

Dans la professions, certains par résignation, par fatigue, d'autres par fascination pour la supposée réussite d'autres systèmes dans le monde, sont aussi prêts à accepter ce diktat, à se laisser déposséder de cette héritage, à accepter le joug du prix mondial.

Mais notre maison n'est pas dans le désert australien, dans la pampa argentine ou au milieu du Pacifique, et Paris n'est pas Austin au Texas. Nous avons d'immenses atouts, et nous les avons tristement oubliés, nous allons bientôt les renier.

Et proclamer ceci n'est en nulle façon avoir peur de l'autre ou dénigrer les productions étrangères, mais simplement être conscient de nos forces, pour pouvoir s'organiser sereinement, avec détermination. On pourra ainsi exiger et obtenir notre part légitime de la valeur ajoutée réalisée par la filière laitière françaises, dont les fleurons ne se sont jamais aussi bien portés, et ainsi conforter l'avenir de cette filière.

Redécouvrons qui nous sommes, et ce que nous produisons! Retrouvons la Fierté de traire et revendiquons le Plaisir que notre lait procure!

mercredi 13 juillet 2016

Réponse à M. Olivier PICOT (Président de la FNIL)

Dans l'interview du 12/07/2016 retranscrite dans le magazine LSA  (http://www.lsa-conso.fr/olivier-picot-fnil-l-industrie-laitiere-est-aussi-en-grande-difficulte-interview-exclusive,242499) vous affirmez que les éleveurs français sont mieux payés que les producteurs en Allemagne en particulier. Vous oubliez de rappeler que le lait produit sur les terroirs français est transformé pour une large part en produits issus de la tradition française, à forte valeur ajoutée, qui font la prospérité et la renommée des transformateurs français. Il est donc normal que le prix du lait soit plus élevé en France que dans d'autres pays n'ayant pas cet atout.

D'autre part les producteurs français ont des contraintes (normes, charges sociales et fiscales) peut-être moins aiguës dans d'autres pays.

Il est donc inexact de dire que les producteurs français sont "moins touchés que partout ailleurs dans le monde".

Vous dites que la surproduction actuelle n'est pas uniquement due à la fin des quotas. Effectivement la production française est encadrée de fait par les collecteurs de lait par des références de volume contractuelles héritées des quotas, et la production française de lait a augmenté modérément ces 2 dernières années. En France, si surproduction il y a, elle est due au manque d'échange entre industriels et producteurs sur les besoins réels et à un prix imposé qui n'incite en rien un producteur à réduire sa production pour recoller à la demande.

Vous insinuez que l'année faste de 2014 nous sert de référence dans la gestion de nos exploitations. Le prix du lait a baissé de 140 EUR les mille litres par rapport au plus haut de 2014, soit une chute de 35%. Nos marges ont été anéanties et ce quelles qu'aient été nos espérances prétendues en 2014. Les syndicats auraient soutenu la croissance des volumes, mais ce sont les contrats, proposés par les industriels, qui régissent les volumes. Vous évoquez la volatilité des cours du lait, nous ne constatons depuis 18 mois, et pour encore de longs mois au moins, qu'une baisse. Vous brandissez une guerre des prix entre bassins laitiers, elle ne saurait absolument pas être imputable aux producteurs français, ni d'autres pays d'ailleurs, mais plutôt aux industriels et à leurs acheteurs.

Vous affirmez que l'industrie laitière est touchée de plein fouet. Les résultats publiés pour 2015 par les entreprises qui acceptent de le faire montrent que leurs bénéfices ont augmenté, et étant donné que le prix d'achat de notre lait a perdu encore 10% au cours de l'année 2016, il n'y a aucune raison de penser que la tendance sera bien différente cette année. Mais bien sûr il sera difficile de le constater puisque certaines entreprises, parmi les plus importantes, refusent d'être transparentes sur leurs marges. Vous accusez la grande distribution d'imposer des prix bas et vous nous refusez cet argument, alors que notre production vous est acquise avant même d'être produite au prix qui vous convient! Et vous omettez de dire que la composition du prix du lait incluse dans les contrats, quand les industriels en tiennent en compte, ne prend pas en compte la valorisation des Produits Grande Consommation, pourtant les plus lucratifs pour les industriels. Certaines PMEs font des efforts et, compte tenu du contexte, appliquent un prix, certes encore insuffisant, mais 40 à 60 EUR plus élevé que le plus gros acteur privé du secteur, qui lui paie au plus bas. C'est le résultat d'une parodie de négociation, totalement déséquilibrée, à l'issue de laquelle les Organisations de Producteurs viennent recueillir un prix imposé, tout le reste étant régit par le contrat.

Vous assénez que l'inclusion d'un prix prévisionnel dans les contrats de vente des industriels est "ridicule" car les industriels seraient incapables de le prévoir à l'avance. Nous ne connaissons notre prix du mois que 8 ou 10 jours après son début, et notre cycle de production n'est absolument pas modifiable sur une période aussi courte, ni même sur un ou deux trimestres.

Vous appliquez le même traitement à la mention d'origine des produits laitiers, en invoquant les exportations qui seraient en danger. Mais c'est justement parce que le lait et les produits issus de ce lait sont français, d'excellente qualité et de tradition prisée, que la France est exportatrice. Quel danger de le rappeller?

En vérité la crise que connaissent les producteurs laitiers est absolument inédite, et a déjà des conséquences lourdes dans nos campagnes. Cette ruralité, ces terroirs, ces traditions françaises grâce auxquels de grandes entreprises laitières françaises ont pu se développer sont en passe d'être défigurés. Et ce sera la perte de la spécificité française pourtant si chère à vos marques, à vos spécialités laitières.

Il est temps d'agir énergiquement pour préserver ces atouts, en ouvrant enfin un dialogue équilibré avec les producteurs. Rapports après études rabâchent ce déséquilibre flagrant dans le rapport de force entre producteurs et industriels.

De récentes dispositions législatives rendent possibles des Associations d'Organisation de Producteurs plus grandes, plus puissantes, avec un champ d'action élargi. Elles ont vocation à prendre le relais des Organisations de Producteurs inhibées dans la verticalité de leur relation avec leur industriel.

A nous producteurs de saisir cette opportunité, espérons que la FNIL saisisse cette chance de collaborer avec des interlocuteurs responsables (et non plus de simples livreurs de matière première) et d'élaborer de nouveaux contrats, plus équilibrés bien sûr, plus réactifs sans doute.

Vous déclariez le 16 mars 2016 que "le marché libre dérégulé ne marche ni dans le temps ni dans l’espace". Il faut alors appuyer la proposition française faite à la commission européenne d'instaurer de réelles mesures de régulation de la production, et non la poursuite des mesures d'intervention actuelles qui ne fonctionnent pas, le recul est désormais suffisant pour l'affirmer.

Cette crise, vous en faites pesez tout le poids sur les épaules des producteurs. La fracture est proche, la désintégration du paysage rural laitier français se précise.