samedi 20 août 2016

Comment en Finir avec LES Crises Laitières?

L'échec total du Marché

Après 20 mois de crise du prix du lait, et la fin de l'année 2016 ne s'annonce guère meilleure, le constat est clair.

Le marché européen du lait, dont le rôle a été mis sur l'avant de la scène avec force suite à la fin des quotas en avril 2015, a définitivement révélé son incapacité à réguler la surproduction de lait, et donc à enrayer la baisse à présent massive du prix du lait.

Pire, pendant de longs mois, beaucoup de producteurs ont individuellement augmenté les volumes livrés aux transformateurs pour compenser la baisse du prix du litre et faire face à leurs échéances financières.

La stabilisation de la production n'arrive qu'avec un niveau de prix exceptionnellement bas, si déconnecté des coûts de production que les faillites, les arrêts définitifs, deviennent d'actualité. Et il faut savoir qu'un producteur de lait ne dépose le bilan qu'après de longs mois de sacrifices financiers, de non-prélèvement de revenu pour faire face à ses besoins personnels, pourtant essentiels. Telle est la gravité de la situation: la régulation par le naufrage économique des producteurs.

Les récentes mesures européennes sont très tardives et bien insuffisantes. Elles ne modifient en rien, dans le temps long, les caractéristiques de ce marché destructeur d'activité dans l'élevage.

On ne peut plus brandir les progrès à réaliser en terme de productivité comme solution, puisque tous les producteurs de lait, sur toute la planète, sont dans leur ensemble dans une situation financière extrêmement préoccupante.

Pourquoi les producteurs de lait ne décident-ils pas de réduire leur production, afin de faire augmenter le prix?

En l'état, il faudrait que chaque producteur, individuellement, décide de diminuer ses livraisons. De quel volume? Et surtout pourquoi risquer de ne pas payer ses factures en diminuant sa production dans l'immédiat? Dans le très hypothétique espoir que les centaines de milliers de producteurs européens fassent individuellement de même, au même moment?

Il est impératif de rappeler que l'Union Européenne, afin de lutter contre les ententes sur les prix et l'organisation de pénurie de lait, a décidé qu'une organisation de producteurs de lait ne pouvait rassembler plus de 3.5% de la production totale européenne de lait. S'ils veulent se regrouper, les producteurs doivent le faire au sein d'un minimum de 29 organisations (OP)!

Et ces 29 organisations doivent actuellement être bien distinctes et ne pas s'entendre sur les volumes mis sur le marché ou les prix demandés, sous peine d'être lourdement sanctionnées par l'autorité européenne de la libre concurrence!

Il est donc évident que la maîtrise de la production ne peut venir des producteurs eux-même, bien au contraire, dans l'état actuel des règlements européens.

Pourquoi les producteurs de lait n'exigent pas de leurs acheteurs, les transformateurs, un meilleur prix?

Tout d'abord, nous sommes bien loin des 29 OP en Europe, puisque rien qu'en France il en existe bien plus de 100, qui sont loin de coaliser tous les producteurs éligibles, c'est à dire les producteurs livrant à des laiteries privées, les coopérateurs étant exclus statutairement des OP à l'heure actuelle.

En face, il existe 4 ou 5 acheteurs dominants ayant proposé des contrats de 5 ans aux producteurs, contrats imposés par l'État et "négociés" alors que les OP étaient au tout début de leur développement. Ces contrats contiennent notamment une grille de calcul du prix du lait faisant une part extrêmement belle aux produits industriels (ceux qui sont le plus sensibles aux soubresauts du marché) et ne tenant que très peu compte des produits à forte valeur ajoutée, les Produits de Grande Consommation.

Non seulement les producteurs ne sont pas en position de négocier, mais il n'y a rien à négocier, une fois le contrat signé. Et il l'a été encore une fois en position de faiblesse, en "non-connaissance" de cause, dans la crainte de ne plus être collecté.

Comment rétablir un rapport de force équitable?

La loi Sapin 2 va renforcer la capacité des OP à se regrouper, imposera plus de transparence aux transformateurs (publication obligatoire de leurs comptes par exemple) et plus de transparence dans les contrats avec les GMS (indication d'un prix prévisionnel payé aux producteurs de lait).

Mais ces mesures, à elles seules, ne seront pas suffisantes pour donner aux producteurs le poids nécessaire dans les négociations avec les transformateurs.

C'est pourquoi je propose la création d'un Fonds Solidaire d'Épargne Laitier, décrit dans l'article http://filierelait.blogspot.fr/2016/08/un-nouveau-risque-laitier-stabilisateur.html qui matérialiserait, qui ferait planer, le risque de pénurie sévère de lait livré, risque qui est seul à même de rendre les transformateurs les plus dominants un peu plus à l'écoute du besoin, évident, des producteurs d'avoir un prix rémunérateur.

Ce FSEL renforcerait l'épargne des producteurs de lait à moyen et long terme, renforcerait durablement leurs revenus, ne coûterait rien à l'État, obligerait simplement les transformateurs à partager équitablement la valeur ajoutée existante, rendrait à la profession laitière une cohésion qui lui manque cruellement, et même la fierté d'être acteur, et non plus victime, du paysage laitier "après-quota".

Ce FSEL pourrait même servir à réguler la production de lait de manière souple, conforme aux intérêts des producteurs, mais aussi de la filière dans son ensemble.

Osons.

lundi 15 août 2016

Le Fonds Laitier

I. Pourquoi créer ce fonds?

Au bout de plus de 20 mois de crise, il devient évident que les acheteurs de lait français, notamment les transformateurs privés, peuvent payer un prix du lait bien supérieur à celui qu'ils octroient à présent, mais ne le veulent pas. La valorisation des Produits Grandes Consommations, en France et à l'export, permet à nombre d'industriel de publier, pour ceux qui le font, des résultats en très forte hausse sur 2015, et 2016 ne s'annonce pas forcément moins prometteur.

C'est parfaitement révélateur de l'absence de rapport de force entre producteurs et acheteurs, ce qui explique aussi l'absence de résultats concrets obtenus par les OP.
La proposition suivante est sans doute susceptible d'établir ce rapport de force, de donner les arguments nécessaires aux OP dans leurs négociations.

II. Modalités

A. Création d'une nouvelle Cotisation Volontaire par la profession, prélevée sur la paie de lait: 5 à 10 EUR les mille litres (à déterminer). Soit 125 à 250 millions d' EUR par an.
Par exemple, au bout de 6 ans, le capital de 750 M à 1.5 Milliards d'EUR permettrait de financer une grève totale du lait de 45 à 90 jours (bien sûr, c'est le RISQUE de déclenchement de cette grève qui est l'objectif visé, pas sa réalisation).

B. Placée sur un Fonds Solidaire d'Épargne Laitier "Grève du Lait TOTALE", bien sûr rémunéré et avec toutes les garanties juridiques requises pour protéger les contributeurs, avec blocage des fonds pour 2 ou 3 ans (assurer sa stabilité, conditions de retrait anticipé possible, par exemple en cas de besoin urgent).

C. Remboursable (mais évidemment on peut laisser son capital aussi longtemps que l'on veut) sur demande ensuite.

D. Envoi du relevé de compte, certifié par huissier, à tous les acheteurs chaque mois: la publicité du montant de ce fonds étant sa force de dissuasion même.

E. Utilisé en dernier recours bien sûr pour financer une grève du lait totale et illimitée (auquel cas nous perdons nos fonds, totalement ou en partie bien sûr. Principe de "l'arme nucléaire, jamais utilisée, mais efficace par sa seule existence").

La constitution de ce fonds modifierait profondément le rapport de force, de manière progressive d'abord, puis définitivement une fois son volume "complété" et notre détermination établie.

Ce fond pourrait être assimilé à une Épargne Retraite, avec éventuelle possibilité d'obtenir une défiscalisation des versements.

Il viserait à prouver notre capacité à se mobiliser, et ce sans risque aucun (si ce n'est la possibilité non souhaitée d'effectivement devoir déclencher une grève totale du lait pendant une longue période).

Le pouvoir de négociation des OP/AOP s'en trouverait considérablement renforcé, et la solidarité de tous les producteurs de lait seraient établie.

Cette initiative ne relève que de nous, producteurs, et pas des pouvoirs publics français ou européen.

III. Bénéfices pour la filière dans son ensemble

Si l'on considère qu'un tel fonds laitier peut avoir un effet de persuasion, puis de dissuasion et enfin de perturbation grave en dernier recours, examinons les effets secondaires, par ricochet, qu'on peut en espérer.

Comme une onde, créée par un choc initial, son effet se propagera, avec évidemment une force diminuant au fil des maillons de la filière bien entendu.

Les GMS, étant conscientes du pouvoir nouveau des producteurs, seront donc moins empressées d'obtenir des baisses de prix toujours plus importantes, si elles savent que les producteurs ne sont plus une variable d'ajustement impuissante.

L'Etat, conscient de notre capacité à perturber, chercherait enfin peut être plus les solutions de long terme que des mesurettes, des saupoudrages a très court terme, qui en plus deviendraient moins nécessaires.

Les entreprises laitières, quand elles seront à la recherche de financement (bancaires ou boursiers), seront aussi face à des partenaires conscients de notre pouvoir de perturbation, et donc plus soucieux de nous garder "satisfaits et dociles". Aujourd'hui c'est par un prix subi et une incapacité à peser, demain ce serait par notre unité et notre capacité à perturber, donc par un prix assurant la "paix laitière".

La combinaison de tous ces effets permettraient d'obtenir une ambiance sur les prix moins tendue, chacun souhaitant un approvisionnement régulier plutôt qu'une guerre des prix résultant dans une grave pénurie.

IV. Extension dans le domaine de la Régulation de la production

On peut aussi imaginer que ce Fonds soit utilisé comme outil de régulation, d'abord au niveau français

- En cas de surproduction, une cotisation "à 100%" sur le volume à réduire (1, 2, 3% ou plus) pourrait être appliquée sur tous les producteurs, décourageant ainsi fermement de produire ces volumes non désirés.

- Quand une pénurie conjoncturelle (hausse de la demande, pénurie de fourrage dans certaines régions etc...) apparaît, les prix montent. Une surcotisation ponctuelle (par exemple de 20, 30, 40 EUR) au même moment permettrait d'encourager les producteurs à augmenter leur production, le ressenti du prix haut étant atténué, les besoins de trésorerie immédiats restant constants, la solution de l'augmentation des volumes seraient incitées. Cette surcotisation pourrait évidemment être ciblée sur certains producteurs, d'autres non à même d'augmenter leur production pourrait être exemptés.

Loin d'être une taxe à fonds perdu, ces surcotisations seraient versées sur un compte bis, propriété du producteur, mais bloqué pendant longtemps, pourquoi pas jusqu'à la retraite.
La régulation se ferait par les besoins de trésorerie immédiats, tout en confortant l'épargne à long terme des producteurs. Tout ceci sans coûter un centime à l’État.

Évidemment, si notre exemple était étendu à toute l'Europe, nous aurions une régulation parfaitement gratuite, gérée par les organisations de producteurs, et en plus préservant absolument les intérêts financiers des producteurs à long terme via une épargne accrue. Enfin, des producteurs puissants partout en Europe, ce serait des prix plus élevés partout, une production régulée donc, beaucoup moins de concurrence acharnée sur les prix.

Tout ceci sans quota, sans achat de droit à produire, sans surcote des exploitations pour les nouveaux accédants (sinon une valeur économique augmentée).

mardi 9 août 2016

CVO Lait:une idée bien dangereuse!

J'ai récemment rencontré un voyageur d'un pays lontain, producteur de pactole. Il m'a expliqué que face à la mauvaise foi de leurs acheteurs, à leur cupidité, lui et tous ses collègues avaient pris une décision: abonder un fonds, avec toutes les assurances juridiques pour les contributeurs, à chaque paie de pactole.

Ce fonds, ils l'avaient appelé "Fonds coopératif en cas de grève TOTALE du pactole", était abondé de 10 POC pour mille litres, soit pour une exploitation produisant 300 kl, 3000 POC par an. Le relevé de compte de ce fonds, constaté par huissier, était envoyé "par erreur" tous les mois à leurs acheteurs, qu'ils avaient trouvés de plus en plus collaboratifs et généreux de mois en mois.

Ils avaient ainsi tous un joli PACTOLE pour leur retraite, ainsi que plusieurs dizaines de POC par mille litre supplémentaires, sans risque aucun, n'ayant bien sûr jamais du faire de grève TOTALE. Les acheteurs étaient cupides, mais conscients de leurs intérêts: chaque litre de pactole non livré, au début à 0.25 POC le litre, leur coûtait 1 POC en chiffre d'affaires. Ce fonds avait donc un effet de levier de 3.

Je lui ai répondu que les Contributions Volontaires Obligatoires n'existaient pas chez nous, que nous ne connaissions pas le concept de "bombe nucléaire qu'on n'utilise jamais mais qui fait obtenir beaucoup", et que nous n'étions de toute façon pas solidaires du tout. Dangereux utopiste!

lundi 1 août 2016

Pourquoi GMS et Transformateurs Laitiers sont de bien bons Samaritains

Je le dis d'emblée, il est possible qu'il y ai une clé de lecture pour ce qui suit. Que vous la choisissiez ou pas n'est pas de mon ressort.

Comme l'ont fort justement proclamé la Fédération Nationale de l'Industrie Laitière aujourd'hui, ou Lactalis il y a quelques jours, et même les coopératives il y a quelques semaines, les transformateurs de lait multiplient les mesures se soutien aux producteurs de lait: prix supérieurs de 20% par rapport à des pays concurrents soigneusement choisis, compléments de soutien ponctuels, ristourne de 0,35 centimes le litre annuelle (dont 0,15 centimes en parts sociales). On ne peut que le constater, l'effort est massif et généreux!

En France, il existe au moins 4 ou 5 grandes centrales d'achats et autant de gros industriels laitiers et coopératives, soit beaucoup plus que les 3 acteurs au minimum requis pour constituer un oligopole par exemple. Nul danger de ce côté.

Les enseignes de la grande distribution, elles, ne peuvent augmenter les prix des produits laitiers de manière concertée, ce serait une entente. Elles ne peuvent le faire non plus individuellement, au risque de perdre des parts de marché et de mettre en péril leurs salariés. Il en est de même pour les transformateurs de lait.

La fixation des prix est libre en France, et le système fort transparent des appels d'offre pour la fourniture d'un marché assure au consommateur le meilleur prix possible, en baisse constante depuis plus de 50 ans. En aucun cas cette baisse n'est due à la volonté des GMS de faire des produits laitiers des produits d'appel pour attirer le consommateur dans leurs rayons les plus profitables.

Nulle entente n'est possible, et l'autorité des marchés veille au grain! Si il y a eu ententes par le passé, ce n'est que le fait d'individus mal intentionnés, et pas du tout un système bien établi, concerté et qui persisterait aujourd'hui.

Afin de conforter la filière, de préserver l'emploi (et pas du tout pour augmenter les bénéfices ou rémunérer les actionnaires ou augmenter sa fortune personnelle), grandes surfaces et transformateurs doivent préserver leurs marges, il est donc fort logique qu'ils se retournent vers les producteurs de lait et leur intiment d'accepter des prix toujours plus bas.

Les producteurs ont bien évidemment toute latitude pour refuser ces baisses: ils ne sont liés à leurs acheteurs que par des contrats de 5 ans tacitement renouvelable, qu'ils ne sont évidemment pas obligés de signer sous peine d'arrêt de collecte. Au terme de ces contrats ils peuvent très aisément changer de laiterie, aucun accord de répartition des producteurs n'existant entre elle, aucune autre pression n'étant envisageable.

Les contrats incluent des grilles de calcul de prix parfaitement élaborées incluant à peu près tous les critères favorisant une baisse de ce prix, et aucun valorisant les atouts du lait français.

C'est donc bien volontiers que les producteurs acceptent cette baisse du prix, rassurés par les mesures de soutien octroyées par l'aval de la filière, et on peut le dire, par leur bienfaiteurs.

De toute façon, une hausse de prix décidée par les producteurs collectivement seraient aussi une entente, donc illégale, et une baisse de la production pour créer une pénurie momentanée susceptible de faire monter naturellement les prix ne saurait être que le fruit du hasard le plus total: aucune entente n'étant possible sur les volumes produits non plus, il faudrait que simultanément tous les producteurs décident individuellement, au même moment ou presque,de produire moins de lait au risque de ne plus pouvoir payer ses factures et de faire faillite.

Ce système parfaitement rodé assurent donc des prix bas payés aux producteurs, et par le consommateur, et maintien l'emploi et l'activité au sein des transformateurs et de la grande distribution.

Hors de question donc d'apprendre dans les prochains jours que tel ou tel industriel verse des dividendes beaucoup plus élevés à ses actionnaires ou bondit dans le classement des fortunes françaises!