lundi 13 novembre 2017

M.E Leclerc s'emMÊLe les rayons...

Ce texte est une réaction à l'interview de M.E Leclerc dans Ouest France du 10/11/2017
https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/alimentation-michel-edouard-leclerc-met-les-pieds-dans-le-plat-5369496

Depuis que les États Généraux de l'Alimentation ont commencé, on sent M. Leclerc nerveux, peu coopératif, voire vent debout face aux conclusions qui pourraient en émerger.

Et c'est avec les arguments qu'il utilise depuis bien longtemps qu'il lutte, défendant pied à pied un statu quo qui lui profite tant.

« Je ne connais pas le juste prix. Il y a un prix de marché. »

Ces "prix de marché" auxquels M. Leclerc est tant attaché, on sait avec quelles méthodes brutales, à coup d'intimidation et de menaces de déréférencement, ils sont obtenus dans les 50 box de la centrale d'achat Leclerc à Ivry.

Pour qu'il y aie un "prix de marché", encore faut-il qu'il y aie un marché fonctionnel. Or selon S. Martin, rapporteur de l'Autorité de la Concurrence, "les centrales d'achats,c'est un oligopole". On doit d'ailleurs préciser que le secteur de la Grande Distribution,et ses 4 principales centrales d'achat, est un oligopole face aux 60 millions de consommateurs, et un oligopsone face à leurs milliers de fournisseurs. Dans ces 2 cas de figure, les abus de position dominantes sont énormément facilitées, et évidemment les possibilités de fixation des prix démultipliées!

Précisons que la part du Groupe E.Leclerc dans l'alimentaire est de 21% en France.

Dans ces conditions, il ne saurait y avoir un "prix de marché", mais bien un "prix de M. Leclerc" qui en effet n'est pas juste, mais juste trop bas.

«L’augmentation du seuil de revente à perte pourrait avoir des effets négatifs.»

Et justement, les prix "Leclerc" ne sont pas simplement moins chers que la concurrence, mais doivent être 5% moins chers.
Les biens ont sans doute un prix de marché, les services aussi. Hors le seuil de revente à perte permet actuellement à M. Leclerc de revendre à prix coûtant, soit de totalement sacrifier sa marge sur des produits choisis, notamment les produits d'appel du Rayon Frais (lait, beurre, etc...). Le prix du service de distribution qu'il vend aux consommateurs est donc artificiellement réduit à 0. La surenchère de vente à prix coûtant, de promotions, entraîne des exigences de baisse de tarifs auprès des fournisseurs pour être toujours moins cher que les concurrents.
 Ainsi la part du budget des ménages consacrée à l'alimentation continue de baisser depuis 30 ans, l'augmentation des prix alimentaires étant inférieure à l'inflation.

Décomposition du Prix du litre de lait demi-écrémé UHT en grande surface

 Source: Observatoire de la Formation des Prix et des Marges des Produits Alimentaires.

Ainsi en 9 ans, le prix du litre de lait n'a vu son prix augmenter que de 6 centimes, avec des périodes de forte baisse.

Et surtout la part du prix payée aux producteurs de lait n'a fait diminuer proportionnellement, tandis que celle des industriels, mais aussi des GMS, augmentait.

Où donc sont les gains de compétitivité, l'adaptation aux marchés et aux impératifs de la mondialisation? À l'évidence sur les exploitations agricoles justement, encore et toujours!

« Il y a eu 100 milliards d’euros de subvention depuis 10 ans pour les agriculteurs. Il ne devrait pas y avoir de pauvres. Il a été pris par qui cet argent. »

M. Leclerc donne dans la démagogie la plus pure. Pourquoi pas 250 milliards en 25 ans, ou même 500 milliards dans les 50 années à venir?

M. Leclerc devrait pourtant savoir que les subventions de la PAC permettent justement de maintenir des prix bas dans ses rayons. Avant d'être des subventions aux agriculteurs, ce sont des subventions à l'alimentation.

Mais suivons M. Leclerc dans sa démagogie:
* Où sont passés les millions d'emplois détruits dans l'industrie et l'agriculture? À la recherche du prix toujours le plus bas?
* Où sont passés les milliers d'hectares de terres agricoles occupés par ses nouvelles implantations, agrandissements, parking? A la recherche d'une spéculation foncière lucrative pour lui et ses 500 associés, mais très pénalisante pour les exploitants agricoles?
* Où sont passés les 3 à 4 milliards d'Eur par an de valeur détruite par les promotions et les offres de "gratuité" des produits dans vos magasins?

M. Leclerc et l'ombre d'Amazon

Très attaché à la mise en concurrence de ses fournisseurs avec le monde entier, au "prix de marché" issu de l'offre et la demande, M. Leclerc est cependant beaucoup plus frileux concernant l'arrivée d'une nouvelle concurrence, celle de la vente en ligne, et donc d'Amazon.

Lui qui exerce depuis toujours une activité non délocalisable par nature, la distribution en grandes surfaces commerciales, et qui en tire des bénéfices confortables, s'inquiète de ce changement de donne. Que lui aille se fournir moins cher en beurre en Allemagne, c'est normal, que le consommateur cherche à faire de même non pas dans ses magasins, mais sur une plateforme en ligne l'est beaucoup moins. Et que les producteurs, les fournisseurs, puissent un jour se passer de ses services pour atteindre le consommateur, cela provoque chez lui une certaine panique.

La charte élaborée dans le cadre des États généraux de l’alimentation pour revaloriser le prix payé aux agriculteurs

Soit, M. Leclerc est inquiet, il ne veut pas réveiller l'inflation des prix alimentaires, alors que depuis des décennies elle est totalement endormie. Il ne croit pas à la "théorie du ruissellement" selon laquelle vendre plus cher en magasin permettrait la transmission de valeur jusqu'au producteur.

Il préfère la théorie du rouleau compresseur, qui finit par se servir du revenu des agriculteurs comme variable d'ajustement.

Il insiste sur le fait que les relations entre industriels et producteurs, ce n'est pas son affaire, mais il freine des quatre fers pour faire naître les conditions d'une transmission de la valeur aux exploitants agricoles.

Cette charte, à la quelle il n'a pas activement collaboré, qui l'indignait tant le 9 novembre, il annonce finalement le 10 qu'il va la signer, après avoir consulté en un temps record les 500 adhérents Leclerc.

Une charte ne coûte rien après tout, elle engage encore moins quand on a pris la peine d'émettre toutes les réserves possibles durant tous les États Généraux de l'alimentation.

Mais M. Leclerc, prenez garde de trop obscurcir, par entêtement et frilosité, l'avenir de l'agriculture française. Souvenez-vous que les consommateurs ne peuvent consommer que s'ils ont des emplois, et que vos rayons ne sont pleins que parce qu'il y a des producteurs agricoles.


samedi 4 novembre 2017

Lait: Segmenter sans Diviser!

La segmentation du marché du lait est bien en cours, mais parfois dans des conditions dont la transparence laisse à désirer pour les éleveurs laitiers en général, et pas seulement pour les producteurs livrant ce lait "segmenté".

Les premières segmentations du marché du lait sont bien sûr les AOC/AOP et le lait BIO, des distinctions à présent bien perceptibles par le consommateur.

Plus récemment, d'autres démarches cherchant à donner une plus-value à un lait conventionnel sont apparues, utilisant des critères assez différents: brique de lait équitable, durable, sans ogm, local, correspondant aux attentes du consommateur, etc...

Une crainte, bien légitime, est exprimée par beaucoup d'éleveurs concernant:
1. Le niveau de valorisation supplémentaire apportée par ces nouvelles segmentations du lait
2. Le sentiment que le lait conventionnel, soit l'immense majorité des volumes, et on pourrait même dire le "lait tout court", est laissé à l'écart de cette valorisation, voire dévalorisé.

Il faut donc bien discerner le supplément de prix directement perçu par les éleveurs produisant ces laits, la marge supplémentaire qu'en tirent transformateurs (coopératives ou privés, cela a son importance) et grande distribution, et le retour, ou non, à TOUS les producteurs, même ceux ne participant pas directement à ces démarches.

Coopératives et Lait "segmenté"

Dans le cas d'une coopérative, le producteur de lait livrant du lait "segmenté" percevra directement un supplément de prix. La coopérative de son côté commercialisera ce lait en dégageant une marge supérieure vs. un lait conventionnel, espérons-le, même s'il lui coûte un peu plus cher à l'achat. Cette marge supplémentaire lui permettra, espérons le encore, d'octroyer une ristourne plus élevée à TOUS ses adhérents, y compris ceux qui livrent un lait standard. Cette péréquation doit être la plus transparente possible, afin d'assurer un climat serein parmi tous les coopérateurs, quelque soit le lait qu'ils livrent!


Prenons un exemple de la répartition du prix du lait par la consommateur à tous les acteurs de la filière:



Pour un lait "segmenté" vendu 20 cts plus cher, et en admettant que coopérative et GMS conserve le même ratio de répartition du prix final, et en prenant le supplément de prix généralement perçu par les producteurs volontaires de ce type de démarche, on obtient:



Les marges transformateurs et GMS sont très contestables à ratio de prix final constant, car le coût supplémentaire de ce lait "segmenté" est presque entièrement à la charge de l'éleveur, le transformateur n'ayant que des charges supplémentaires minimes de collecte, de chaîne de mise en brique et de marketing, la GMS n'ayant aucun frais supplémentaire.

Question 1: le supplément de prix de 1,5 à 2 centimes pour les producteurs participant à cette démarche est-il suffisant?

Question 2: les marges des transformateurs, et a fortiori des GMS, doivent elles être plus importante sur le lait "segmenté" que sur le lait conventionnel?

Question 3: que doit il advenir du reliquat, soit dans notre exemple près de 5 centimes, une fois la valeur répartie? Ne doit-il pas être redistribué à tous les producteurs de la coopérative, soit sous forme d'un prix de base plus élevé, soit sous forme de ristournes transparentes?

Transformateurs privés et lait "segmenté"

Dans le cas d'un transformateur privé, le schéma est le même, sauf qu'il n'y a pas de ristournes! La marge supplémentaire intègrent directement les bénéfices, et donc les dividendes. Il est donc essentiel que les Organisations de Producteurs négociant globalement le prix du lait avec ces laiteries soient associées à ces démarches, et s'assurent que TOUS les producteurs profitent de cette segmentation via un prix du lait plus élevé pour le lait "standard".

Enjeux et dangers de la segmentation

 Si la segmentation est à l'évidence génératrice de valeur ajoutée pour la filière, encore faut-il qu'elle ne se fasse pas (trop?) au détriment de l'image du lait conventionnel.

Encore faut-il que la valeur créée soit bien répartie, et non pas captée par l'aval, ce qui serait totalement contraire aux exigences sociétales, au cap fixé par les Etats Généraux de l'Alimentation et aux engagements pris par toutes les parties, du moins publiquement.

Encore faut-il que cette segmentation ne soit pas source de division parmis les producteurs, certains ne percevant aucun bénéfices des avancées de la filière, d'autres ayant l'impression d'en porter toute la charge sans en recevoir la juste contrepartie. Un dialogue franc entre les producteurs, au sein des OPs et des coopératives, afin de décider de la juste clé de répartition de cette valeur de segmentation.

Le danger étant une balkanisation aggravée du paysage laitier français, et à terme une perte totale de cette valeur ajoutée, transformateurs et GMS étant encore plus renforcés face à de petits groupes de producteurs divisés et à une image du lait, de tout le lait, détériorée.


Et si des Organisations de Producteurs Commerciales doivent voir le jour, l'enjeu est encore plus crucial!