samedi 29 décembre 2018

Agriculture: La bulle des egos et l'asphyxie des volontés

Avant d'être éleveur laitier, j'ai travaillé une poignée d'années dans les entrailles du système financier mondial, une main minuscule dans les rouages du marché des produits dérivés.

Les problèmes à résoudre était souvent très intéressants, les esprits les plus brillants y élaborant les martingales les plus géniales pour contrer, surpasser leurs précédents et géniaux modèles de valeur en risque.

Mais le constat que ces instruments dérivés, de plus en plus complexes, tenaient de moins en moins compte de la réalité sous-jacente qu'ils utilisaient, que le concret devenait accessoire dans la recherche de gains insensés, m'a détourné de cette activité, et a, à bien des égards, fléché mon aspiration à exercer un métier utile, nécessaire, simplement noble.

Dix-huit mois plus tard, la crise des subprimes et la faillite de ce système financier éclataient, tout comme la bulle qui, en se gonflant, avait asphyxié le monde réel (la construction de logement répondant, elle, à une nécessité certaine) sur lequel elle prospérait, sûre de sa puissance jusqu'au "plop" final.

En cette fin 2018, j'ai un goût amer, celui de voir le même processus, têtu et déjà très avancé, s'emparer du monde agricole: la dérive d'un système qui, s'emballant, s'éloigne, ignore, puis tient pour quantité négligeable la production sous-jacente qui la fait vivre, nos productions agricoles.

L'outil de transformation et commercial prend le pas sur la finalité, essentielle: se nourrir.

Le gain financier se bâfre des marges extirpées du geste de récolte.

La mondialisation, qui devrait permettre d'obtenir ce dont nous avons besoin et que nous n'avons pas, faute de règles élémentaires fait qu'au final nous avons trop de ce qui est superflu et que nous manquons (ou manquerons) de ce qui nous est vital: travail et production couvrant les besoin élémentaires.

Le port narcissique de distinctions, de postes, de sinécures dans les instances agricoles remplace trop souvent la satisfaction simple et saine de la défense de l'agriculteur, de la cohérence entre les contraintes naturelles, les exigences sociétales et les obligations administratives.

Les usines à gaz administratives, économiques, financières créées pour tenter de gommer les incohérences, les contradictions, les culpabilités, les inconsciences d'aujourd'hui ne sont que les impasses de demain.

La loi du marché, prétendument implacable et inévitable, s'impose toujours plus dans les consciences de nos décideurs. Mais c'est oublier que le marché agricole n'est que la somme de nos volontés collectives, une fois la nature ayant donné, et que si la volonté des agriculteurs se dérobe, nous sommes forcément les perdants. Que si nous voulons résolument une régulation indispensable, indiscutable, on nous la devra!

Le prix de nos productions, si nous ne sommes pas convaincus de leur valeur, sera seulement celui que l'on daigne nous octroyer.

Accepter les incantations d'adaptation à la concurrence, à l'ordre des choses, c'est faire fi du fait que l'agriculture française est reconnue comme la plus durable au monde, alors même que ses produits sont les plus variés, ses terroirs les plus riches.

C'est accepter aussi des modèles ignorant souvent nos contraintes environnementales, si gourmands en capital financier que la production agricole devient un vulgaire coproduit, la spéculation sur le sous-jacent devenant la règle, le remboursement des emprunts n'étant même plus envisageable.

Et c'est se soumettre à l'idée que nos rangs s'éclaircissent inexorablement, que la bulle nous asphyxie et éteigne définitivement nos convictions trempées dans le bon sens.

Je ne le veux pas, mais seule notre volonté collective et affirmée, ancrée dans cet acte primordial, celui de nourrir, peut empêcher cette dérive inconsciente.


1 commentaire:

  1. La politique agricole est conçue en partie par les agriculteurs et leurs représentants. S'il y a divergence, apparemment grandissante, entre l'opinion des agriculteurs et celle de leurs représentants officiels (FNSEA, CNJA et Chambres d'agriculture), il n'appartient qu'aux agriculteurs de s'exprimer dans les élections professionnelles. Aujourd'hui l'opinion publique rend les agriculteurs collectivement responsables des désastres écologiques comme les algues vertes en Bretagne, ce qui est naturel étant donné la politique encouragée par les représentants professionnels. Que les agriculteurs cessent de se considérer des victimes s'ils ne votent pas. C'est du moins l'opinion d'Armand Rioust de Largentaye, ami de Jean-Jacques Raoul

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